Le night-club, situé en périphérie de la préfecture, s’était longtemps nommé le Paradiso, mais après plusieurs fermetures administratives temporaires dues à des problèmes d’hygiène, une fermeture définitive suivie d’un changement de propriétaire et de décoration, le lieu avait dû prendre un nouveau nom. Sa clientèle en revanche n’avait pas tellement changé, c’étaient des gens du coin qui s’ennuyaient.
Valérie et Cécile, nées l’une comme l’autre à la maternité du centre hospitalier de la bonne ville d’Auch, venaient de fêter leurs trente-cinq ans, l’une en juin l’autre en octobre. On était un samedi mais elles étaient les seules clientes de l’endroit. Un deejay passait des disques, plus pour s’entrainer que pour faire danser, un barman refaisait son inventaire. Ce soir-là, il y avait Brives-Castres à la télé. Dans le Gers, le rugby c’est sacré, et si Castres l’emportait, Auch perdait une place dans le classement, la rencontre était donc importante. Le patron de la discothèque, une fois de plus, se demanda s’il ne fallait pas se résoudre un jour à investir dans un écran géant, comme le faisaient les cafetiers-pinardiers du coin.
Toutes les deux ou trois minutes, une des filles lançait : «On s’emmerde!». Habituellement bavardes comme des pies, elles étaient affalées dans le canapé jaune, l’air songeur, comme des princesses figées par quelque charme qui attendraient qu’un prince vienne les animer.
«Le premier mec qui passe la porte, je l’épouse», dit Cécile. «Pareil», dit Valérie. Elles le pensaient presque. Chacune se retenait de lancer, comme autrefois, «on n’a qu’à devenir lesbiennes!», car depuis une expérience équivoque dont elles n’avaient jamais osé se reparler et dans laquelle un dénommé Martial et un alcool de prune avaient une lourde responsabilité, le sujet les plongeait dans un embarras profond. Elles n’auraient jamais pu se reparler si elles n’avaient été également convaincues que l’autre avait tout oublié.
Chacune hésitait à rentrer chez elle, car il était encore tôt et si le match et les discussions duraient, elles resteraient seules pour danser jusqu’à onze heures et demie ou minuit. C’est alors que deux jeunes hommes à la beauté irréelle firent leur entrée. Ils balayèrent du regard la grande pièce sombre et presque vide. L’un des deux dit, en désignant Valérie et Cécile : «Ces deux-là m’ont l’air seules». L’autre émit un petit ricanement.
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